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Le Quotidien, Paris, 8 février 1927, p. 3.

La nouvelle a été publiée sans bruit.

Et voilée de considérants trompeurs.

Le fait n’en est que plus grave.

Les forces armées de l’Italie ne connaissent désormais qu’un chef : Mussolini.

Un chef d’État-Major général a été créé, qui dépend uniquement du « Duce ».

Par lui, l’ancien caporal cuisinier qui joue les Césars pourra, d’un mot, mettre en mouvement l’armée, la flotte, l’aviation de son pays.

Contre les ennemis extérieurs qu’il choisira à son heure.

Contre les ennemis qu’il a toujours à l’intérieur.

Au besoin contre son roi.

Car l’affaire est bien claire. Par cette mesure inouïe, Mussolini dépouille le roi, dont il tient le pouvoir, de la seule prérogative qui lui restait. D’une prérogative qu’aucune constitution ne refuse au chef souverain de l’État.

Réduit désormais à ne plus choisir un ministre, à ne plus nommer un fonctionnaire ou un officier, à ne plus jamais parler à son peuple, Victor-Emmanuel sera peut-être privé, demain, du droit de sortir dans la rue.

En Italie, cela s’appelle encore un roi.

Ailleurs un fantoche.

Mais ne nous y trompons point.

Il est clair que cette ultime décision de Mussolini, si le roi ou le prince héritier ne réagissent point, porte le coup de grâce à la monarchie.

Il est clair qu’elle montre le souverain, ou criminel s’il approuve le régime de terreur instauré par le dictateur, ou impuissant s’il le tolère en le désapprouvant.

Mais il n’est pas moins clair qu’elle condamne surtout la dictature elle-même.

Car elle montre une fois de plus, que rien ne prévaut contre le développement nécessaire de l’autocratie.

Que maître de la politique, de l’administration, de la production, des syndicats, le fascisme veut surtout s’annexer l’armée.

Et qu’après avoir asservi le peuple, il lui faut asservir ses voisins.

Cette condamnation, Mussolini l’a signée de sa main.

Souhaitons seulement que l’Europe ne la signe pas de son sang.