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Discours à la BBC – Radio Londres, 29 juin 1943

Ce n’est pas un hasard si, depuis quelque temps, la Gestapo s’acharne à coups redoublés contre la France, si les arrestations se multiplient, si la rafle devient un système permanent, et si Laval met sans cesse au service de l’ennemi un peu plus de juges pour pourvoir les bagnes et un peu plus de policiers pour pourvoir les pelotons d’exécution. Les Allemands ont soudain compris quelle menace est suspendue sur eux dans l’ouest de l’Europe. Fini le temps où ils pouvaient considérer l’invasion libératrice de l’Europe comme un péril imaginaire. Fini aussi le temps où ils croyaient pouvoir, à ce péril lointain, opposer la défense lointaine du mur de l’Atlantique. Maintenant, le péril n’est plus imaginaire, ni lointain. Il est réel, et prochain. L’Allemagne l’a si bien compris que déjà pour essayer de protéger la Sicile, comme pour se garder dans les Balkans et sur la Manche, elle a renoncé à son offensive contre les Russes. Le redoublement des sévices dans l’ouest n’est que l’envers de cette inaction, dictée par l’inquiétude, dans l’est. On peut toujours faire rouler des têtes, quand on ne fait plus rouler des chars, et l’on se console de ne plus faire des conquêtes en faisant des martyrs.

Le but de cette terreur est clair. Sur le sol même de la France, les Allemands ont à redouter à la fois la puissance des organisations clandestines, et l’ardeur unanime des masses populaires. Il s’agit de décapiter les unes et de décourager les autres.

Les organisations clandestines, Berlin sait bien que jamais elles n’ont été si nombreuses, si fortes et si fraternellement unies. Déat en a fait lui-même l’aveu dimanche en remettant un drapeau — quel drapeau ? pas le drapeau français j’imagine — à une formation de la Milice de Laval. « Nos ennemis ne sont pas seulement au-dehors, a-t-il dit, mais au-dedans. Ceux-ci sont même les plus dangereux. Le moment est venu de vous unir pour y faire front.

Détruire ces organisations, les noyer , dans le sang, se servir des mouchards de Vichy pour abattre les gibiers sur les bourreaux de Himmler, arrêter pêle-mêle des centaines de malheureux pour tenter de mettre la main sur les chefs, voilà la sinistre moisson à laquelle les sbires de Hitler veulent employer cet été.

Et quelle victoire s’ils pouvaient du même coup paralyser pu l’épouvante cet immense et vaillant peuple français, dans lequel les mouvements de résistance trouvent, et dans lequel ils trouveront plus encore au moment de la Libération, un fervent et décisif appui. Ce peuple français — Goëring a dû l’autre jour le reconnaître par la voix rageuse et désenchantée de la National Zeitung— il est aujourd’hui plus unanime que jamais. Si quelques relents d’attentisme traînaient encore, l’an passé, dans les régions à qui l’outrage et le supplice de l’occupation avaient été épargnés, l’irruption de l’ennemi et la déportation des adolescents les ont balayés. Et des calvaires de Bretagne aux solitudes de Savoie, des faubourgs mystérieux de Paris au maquis menaçant de Corse, des sombres crassiers du Nord à la verte douceur de la Gascogne, c’est d’un seul cœur que le pays s’apprête aux suprêmes combats. Mais l’ennemi sait aussi que trois ans de souffrance sont épuisé les corps et tendu les âmes à l’extrême. La disette, le froid, la maladie, les départs pour le bagne, l’attente incessante de l’action, les campagnes de fausses nouvelles, tout a contribué à donner à l’opinion française un maximum de sensibilité. Ce que voudraient les Allemands, c’est briser d’un seul coup, avant l’heure où il pourra mortellement jouer contre eux, le ressort surmené de la Résistance française.

Mais la France tiendra. Les brèches ouvertes dans leurs flancs, les mouvements de résistance serreront les rangs pour les refermer. Ils ont l’expérience tragique de ces moments affreux où l’on apprend que vient de tomber le camarade avec qui l’on était la veille, avec qui l’on avait rendez-vous le lendemain. Ils savent que toujours, après la première stupeur, après la première hébétude, on repart au combat plus âprement qu’avant, parce qu’il ne faut plus seulement vaincre mais venger. Et avec eux, entraînée par leur exemple et leurs sacrifices, la nation fera tête, elle aussi. Car la violence même de la répression allemande est annonciatrice : elle annonce la bataille, et, par la bataille, elle annonce la victoire.