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Discours à la BBC, le 4 juin 1943

Voici donc que l’union est réalisée. « Qu’il ait fallu longtemps pour y parvenir, a dit le général de Gaulle hier, nul ne s’en étonnera. » C’est qu’il ne s’agissait pas seulement d’unir des bonnes volontés. Il s’agissait d’unir des réalités. L’union des bonnes volontés, c’était la poignée de main du général de Gaulle et du général Giraud sur le terrain de Boufarik : une minute y suffisait. Mais l’union des réalités, c’était l’union d’une armée qui s’était longtemps réservée et d’un peuple qui s’était tout de suite offert. L’explication qu’elle exigeait était si délicate qu’elle a été différée six mois. Ouverte enfin par l’arrivée du général de Gaulle à Alger dimanche, elle a duré quatre jours. Quatre jours, est-ce tellement exorbitant ? Après tout, il y a, dans l’histoire de France, des colloques moins importants, qui ont duré davantage.

Cette union que la France voulait, elle la voulait dans la pureté. Dimanche, je lui disais que son vœu serait exaucé. Il l’est. Dès lundi, Radio-Alger disait : « Autour du général de Gaulle, autour du général Giraud, il ne peut y avoir que des hommes purs, purs comme eux-mêmes, purs comme les sacrifices que la France n’a pas ménagés depuis trois ans. » Les communiqués que vous avez entendus depuis 48 heures témoignent que ce n’étaient pas là de vaines promesses. Pour mesurer le chemin parcouru depuis six mois, il n’est d’ailleurs pas besoin de regarder en arrière sur ce qui nous serrait k cœur. Il n’y a qu’à voir où nous en sommes arrivés avec la déclaration d’hier, qui garantit la destruction complète du régime d’arbitraire et de pouvoir personnel imposé au pays, en juin 1940, par les pilleurs d’épaves de la France défaite.

Réjouissons-nous donc sans arrière-pensée. Deux France, combattant séparément, c’était trop beau pour l’Allemagne et pour Vichy. Une seule France, c’est une armée plus belle contre l’ennemi, c’est une souveraineté plus totale sur l’Empire français, c’est pour nos alliés un appoint qu’ils apprécieront davantage, c’est pour le moment où se réaliseront les grands effondrements une position nationale plus forte. C’est aussi, dans une mesure qui demeure à déterminer, une légalité nouvelle pour tous les Français qui sont hors du pouvoir de l’ennemi.

La France n’a été pendant de longs mois qu’une flamme pieusement sauvegardée et servie par une poignée de héros. Elle est aujourd’hui une réalité internationale. Et il n’y a point de risque qu’elle perde en ardeur ce qu’elle gagne en importance. Pourquoi la flamme s’éteindrait-elle ? Ce n’est pas parce que la France qui combat va se redonner une administration que l’épopée va prendre fin. L’épopée ne peut pas chausser des manches de lustrine. Bir Hakeim engage. Zaghouan engage. La résistance sublime- de l.i France trahie engage. Les morts de Bir Hakeim, de Zaghouan et de la Résistance française engagent.

Jaillis de tous les coins de la terre de France, issus de toutes les conditions, venus de ce qu’on appelait hier la droite, et le centre, et la gauche, un d’Estienne d’Orves, un Péri, un adolescent comme Bloncourt, et tant d’autres camarades d’organisation, camarades de combat, que nous avons vus sous nos yeux martyrises par la Gestapo et dont nous avons su le trépas magnifique, morts de la seconde bataille de France, un Amilakvari tombé à El Alamein avec les héros de la première brigade française libre, un Welwerl, tombé sur le front tunisien avec ceux qui ont relevé le drapeau de l’armée d’Afrique, c’est à eux que nous pensons en ces jours où se réalise une unité française qui ne doit pas être un aboutissement mais un point de départ. À un pays dans lequel la trahison s’était infiltrée par la voie de l’égoïsme, ils ont rendu ce qu’il avait naguère : le sens de la grandeur. À un pays qui a failli périr de ses divisions, ils ont réappris ce qui peut faire sa force : le sens d’une solidarité qui n’exclut que les traîtres. Plus que jamais, c’est leur exemple qui doit nous guider. La France qui s’unit, c’est la leur. Et elle ne s’unit que pour rester la leur.