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L’Europe Nouvelle – 6 novembre 1937 – p. 1071-1072

 

Comité de Londres, Conférence de Bruxelles… Si les chances de la paix se mesuraient au nombre de billets de pullman pris par les hommes d’État, nous pourrions dormir bien tranquilles : jamais la diplomatie n’a tant travaillé.

Il semble malheureusement qu’elle n’ait jamais travaillé avec aussi peu d’espoir.

Que va faire la Conférence de Bruxelles ? Dès la veille de sa réunion, l’on a pris soin de nous rappeler qu’elle n’était pas la Société des Nations et qu’elle n’avait par conséquent pas le moindre droit de décider la moindre action. On nous a rappelé aussi que le traité des Neuf-Puissances, en cas de conflit, n’engageait et n’autorisait ses signataires qu’à « échanger de complètes et franches informations ». Reste l’hypothèse d’une médiation : mais chacun s’accorde à considérer dès maintenant la tentative comme vouée à l’échec par les dispositions du gouvernement japonais. Il est donc vraisemblable que dans quelques jours les représentants de 19 gouvernements ne se seront rassemblés à Bruxelles que pour verser quelques larmes sur le sort des femmes et des enfants frappés par les obus nippons et pour décider collectivement d’envoyer quelques flacons de teinture d’iode aux hôpitaux sanglants de Shangai et de Nankin.

Comité international de contrôle de la non-intervention, constitué à Londres le 8 septembre 1936 et comprenant des délégués de vingt-sept pays, dont l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, la France, l’URSS et le Portugal.

Réunion à Bruxelles des représentants de dix-neuf gouvernements, sous les auspices de la SDN, pour envisager la conduite à tenir à l’égard du Japon qui venait d’envahir la Chine.

Traité signé par la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, le Portugal, le Japon, les États-Unis et la Chine le 6 février 1922, lors de la conférence de Washington, par lequel les huit premiers s’engagèrent à respecter la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale et administrative de la Chine,

Perspectives analogues au Comité de Londres. Pour le présent on a dû se contenter de proclamer comme un premier succès l’abandon du rappel « symbolique » que la France avait proposé le 16 octobre, mais que l’Italie avait transformé en un redoutable piège pour les Républicains espagnols. Succès encore lorsque le sous-Comité s’est à peu près mis d’accord sur une nouvelle réduction des propositions françaises du 16 octobre, qui n’étaient elles-mêmes que la neuf ou dixième version du projet britannique du 14 juillet. Succès toujours lorsqu’on a décidé le délégué soviétique à s’abstenir sur ce texte nouveau, au lieu de voter contre, comme il en agitait la menace. Succès quand on a obtenu de M. Grandiet de M. Wœrmann (M. von Ribbentrop ayant cavalièrement délaissé les obscurs travaux du Comité pour une plus fructueuse mission à Rome) qu’ils daignassent ne pas considérer présentement l’abstention soviétique comme un vote négatif de nature à bloquer définitivement la négociation. Succès des succès enfin lorsque le sous-Comité d’abord, puis le Comité lui-même, réunis en séance plénière, ont « autorisé » le gouvernement britannique à « approcher » les autorités de Valence et de Salamanque et à les pressentir sur l’envoi de commissions chargées du recensement des étrangers combattant de part et d’autre. Mais après tant de succès où en est-on, sinon qu’aucun « volontaire » n’a encore quitté la péninsule, qu’aucun frein n’a été apporté à l’expédition de nouveaux renforts italiens à Franco, que les Commissions chargées de dénombrer les volontaires ne sont même pas encore désignées, qu’elles ne le seront peut-être jamais, que, si elles le sont, elles ne pourront apporter leurs conclusions avant des mois et des mois, que ces conclusions ne serviront peut-être à rien, et qu’en attendant, la piraterie aérienne se substitue à la piraterie sous-marine en Méditerranée, la France ayant manqué d’y perdre l’Oued-Mellah et l’Angleterre y ayant laissé le Jean-Weens ?

Projets visant à réduire le nombre des « volontaires » étrangers combattant dans la péninsule.

Délégué italien au Comité de Londres.

Délégué allemand au Comité de Londres.

Siège du gouvernement républicain espagnol.

Où siégeait la Junte espagnole.

Le plus grave est que par-delà les conclaves de Bruxelles et de Londres, d’autres orages encore montent lourdement sur l’horizon.

L’Allemagne a cessé de chuchoter sa revendication coloniale. C’est à haute voix qu’elle l’a fait formuler par M. Mussolini. C’est à haute voix aussi qu’elle va, dit-on, la notifier officiellement elle-même, par la voie du Fùrher-chancelier Hitler, à la tribune du Reichstag, en prenant soin de limiter ses prétentions à l’Afrique, pour ne dresser contre elle ni le Japon, ni les États-Unis.

Ce n’est pas tout. En même temps que les regards allemands se fixent sur le Togo et sur le Cameroun, sur le sud-ouest africain et le Tanganyika, une active propagande s’exerce, à travers les monts des Géants, sur ce pays des Sudètes où Berlin prépare de plus en plus activement le putsch dont le succès porterait un coup fatal à la Tchécoslovaquie, et par-delà la Tchécoslovaquie, à la France, et à tout le système de paix et de liberté dont la France, qu’on le veuille ou non, reste à la fois le symbole et la tutelle.

Partout l’heure est donc arrivée de la montée des périls. Partout l’axe Rome-Berlin, dont le reflet s’étend désormais jusqu’à Tokyo, fait peser la menace de nouveaux bouleversements et de nouvelles agressions, si immédiatement dirigées contre nos amis ou contre nous-mêmes que nous ne pourrions, sans nous renoncer, les laisser s’accomplir.

Ces dangers, fallait-il craindre que le peuple français n’en prît pas conscience ? Fallait-il craindre que, tout occupé de l’écho déformé des dernières polémiques électorales, le congrès d’un grand parti comme le parti radical, d’un parti dont le poids est si décisif dans l’orientation des destins français, s’épuisât en vaines controverses subalternes au lieu de se concentrer tout entier sur la seule réalité qui compte aujourd’hui, sur la guerre qui menace ? Fallait-il craindre que l’hostilité plus ou moins factice de certains à l’égard d’un des partis composant la majorité gouvernementale se manifestât par des attaques misérables contre un grand pays allié de la France et par de coupables complaisances pour les dictatures qui ont pris soin de vêtir leurs ambitions de la défroque mensongère de l’anticommunisme ?

À cette anxieuse question, le pathétique discours de M. Edouard Herriot a donné la réponse qu’attendait la France. Ce que M. Yvon Delbos, contraint par les règles mêmes de sa charge, ne pou va il dire qu’en termes graves, mais diplomatiques, le président Herriot pouvait l’exprimer, et il l’a exprimé avec des accents d’une poignante humanité qui n’ont pas eu de retentissement sur les seuls délégués pressés dans la salle Rameau, mais dans tout le pays, dans tout ce qui du moins mérite d’être appelé le pays.

Oui, la France attendait qu’en réplique aux flèches meurtrières lancées contre des hommes publics qu’on accuse de vouloir la guerre parce qu’ils n’entendent pas laisser prescrire l’intérêt et la sécurité de la nation, elle attendait qu’une voix ardente s’élevât pour déclarer que le moment est arrivé de répondre « non » à la renaissance de la barbarie dans le monde, de répondre « non » à la résurrection de la

En faisant écho à ces préoccupations pressantes de la conscience populaire, le président Herriot n’a pas seulement regroupé tout son parti autour d’une politique de clairvoyance et de dignité ; il a puissamment contribué à resserrer les liens de la majorité présente, et par là même à renforcer la stabilité gouvernementale qui est l’un des éléments de la force française ; et, sans doute, par-delà les limites mêmes de cette majorité a-t-il réussi à dessiller bien des yeux, à dissiper bien des préventions, et à ramener dans le sillon de l’intérêt national bien des Français que le préjugé politique en avait écartés.

Après son noble discours en tout cas, la tâche du gouvernement de la France est facilitée. Et rien ne doit plus faire dévier son effort.

L’Angleterre.

Ministre français des Affaires étrangères.

Où s’était déroulé le congrès national du parti radical.

Une politique d’imprudence ?

Non, certes. Jamais.

Pas plus aujourd’hui qu’hier la France n’aventurera un homme ni un fusil tant que ses intérêts vitaux ne seront pas directement touchés ou tant que ne seront pas mis en cause les engagements qu’elle a pris et dont la réciproque constitue une partie essentielle de sa sécurité. Et pas plus aujourd’hui qu’hier elle n’agira sans l’assentiment de la grande nation qui lui a formellement garanti sa frontière du Rhin. Sur ces points, M. Edouard Herriot a été formel. Et sa pensée à ce propos est la même que celle de M. Léon Blum.

Une politique de hargne et de récriminations ?

Pas davantage. À cet égard le président d’honneur du parti radical a fait entendre à l’adresse de l’Allemagne les mêmes paroles de sagesse et d’apaisement que le chef du parti socialiste avait lui-même employées, voici près d’un an bientôt, dans son discours de Lyon.

Une politique de croisade idéologique ?

Certainement pas non plus. Bien avant le déchaînement de la crise espagnole, le chef du premier gouvernement de Front populaire, parlant à l’American Club, avait souligné avec force que la France n’entend pas plus se mêler des affaires intérieures des autres peuples qu’elle ne pourrait souffrir d’intervention dans les siennes propres. Et M. Edouard Herriot n’a pas dit autre chose à Lille.

Non. Ni imprudence. Ni hargne. Ni passion idéologique.

Mais une politique de fermeté d’autant plus inébranlable qu’elle est plus pacifique.

Ce que le monde ne doit pas ignorer aujourd’hui, c’est que jamais la France ne parlera d’accommodements coloniaux sous une menace ou sous une pression étrangère.

C’est que la France ne laissera jamais porter atteinte ni à la liberté de ses communications méditerranéennes, ni à la tranquillité de ses possessions nord-africaines : à plus forte raison à leur intégrité.

C’est que jamais la France ne permettra à qui que ce soir d’attenter soit directement, soit obliquement à l’unité ou à la sécurité de la nation tchécoslovaque. Et de même qu’une agression entraînerait son action immédiate, une intervention occulta appellerait sa contre-intervention résolue. Nul ne peut se méprendre à ce sujet : ni les adversaires de la Tchécoslovaquie, qui doivent ainsi être avertis ; ni ses voisins et amis qui peuvent dès maintenant se déterminer en conséquence ; ni l’Angleterre, qui doit d’avance donner son accord à cette politique nécessaire de défense de la paix et du droit.

Après le congrès de Lille plus fortement encore qu’avant, telle est la position de notre pays.

Devant la montée des périls son sentiment n’est pas la crainte.

Ni la présomption.

Mais la gravité.