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Dernier numéro du journal Resistance, Bulletin du réseau Groupe du Musée de l’Homme, 25 mars 1941

 

Editorial paru dans Résistance

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Bulletin officiel du Comité national de Salut public

25 mars 1941

Depuis le 13 décembre, on avait pu espérer que le gouvernement de Vichy cesserait de faire du mensonge anti-anglais, la pratique la plus courante de sa politique. C’était se faire beaucoup d’illusions. Depuis lors l’amiral Darlan est retombé dans l’erreur de Laval. Et comme l’on ne peut faire les choses à demi lorsqu’on cumule trois ou quatre portefeuilles, il nous a vraiment comblés. Au grand jour de la reddition des comptes son passif se trouvera singulièrement chargé par les effarantes déclarations aux termes desquelles il n’a pas rougi d’attribuer au blocus anglais la pénurie de vivres dont nous souffrons et d’opposer les « affameurs britanniques» aux Allemands généreux, dont la sollicitude est allé! jusqu’à nous « rendre » dix millions de quintaux de blé…

Par bonheur et par malheur, l’opinion française sait à quoi s’en tenir sur le sujet. Depuis neuf mois nul n’ignore par qui ont été razziés nos stocks de farine, de légumes et de viande, comme ont été razziés, nos aciers, nos textiles, notre essence et notre caoutchouc. Aujourd’hui encore, l’occupant fait main basse sur tout ce qui peut subsister de céréales dans nos fermes, le défaut de carburant l’amène à prendre à nos cultivateurs leurs derniers chevaux pour substituer des fourgons et des caissons aux autos de la Reichswehr. Le moindre fonctionnaire, le moindre paysan sait parfaitement ces vérités, hélas, alimentaires. Il n’ignore pas que si le pays n’avait pas été mis au pillage, nous manquerions peut-être de thé ou de chocolat, mais nous aurions en suffisance du pain, des légumes, de la viande et du beurre, comme des vêtements et des chaussures.

Pour compléter l’information des Français libres, ajoutons cependant ceci. On sait qu’à Marseille arrivent régulièrement (avec l’accord des Anglais, bien entendu) un certain nombre de cargos en provenance de l’Afrique du Nord. Or ces cargos, dès leur arrivée en rade, sont visités d’abord par les membres allemands de la Commission d’armistice qui opèrent sur la cargaison un formidable prélèvement. Quelle proportion des marchandises destinées à la France est-elle ainsi expédiée vers l’Allemagne? Certains témoignages qui nous ont été rapportés disent 40 à 60%, d’autres 70 à 80. Même en l’estimant au plus bas, elle est encore énorme, ce seul fait suffit à démontrer qui nous affame. Il suffirait à démontrer également que si l’Angleterre limite notre ravitaillement, c’est parce qu’elle sait bien à qui serviraient essentiellement les produits qu’elle nous laisserait parvenir. Et il en sera ainsi tant que Vichy ne saura ou ne pourra donner l’assurance que tout approvisionnement requis pour « les petits enfants de France » ne sera pas volé, comme il l’est pour aller nourrir les gros soldats allemands.

 L’attitude de M. Darlan est par conséquent très grave. Elle l’est même d’autant plus qu’elle coïncide avec un changement de la propagande allemande en France. Il y a quelques semaines encore, Abetz jouait Laval et Déat contre Vichy. Chaque jour les sportulaires de la presse germano-parisienne étaient invités à crier haro! sur Vichy et à entonner le petit couplet traditionnel sur ce Laval, qui seul pouvait être garant de la collaboration franco-allemande, qui seul…, etc. Aujourd’hui c’est un autre disque qu’on nous moud. De Laval, plus question. Déat lui-même est mis au rancart. Sans doute l’avortement sensationnel du « Rassemblement National Populaire » a-t-il édifié les « autorités compétentes ». Aussi se sont-elles mises à jouer la carte de Vichy. La presse germano-parisienne est maintenant autorisée et invitée à encenser Darlan. Le jeu est clair : n’ayant pu, ni remettre Laval en place, ni opposer à Vichy un gouvernement de Paris, il s’agit par la flatterie et les promesses de faire de Darlan un nouveau Laval et d’obtenir de lui, comme on obtenait de l’autre, tout ce dont l’Allemagne a besoin pour la lutte contre l’Angleterre.

Darlan se laissera-t-il faire? Se laissera-t-il prendre à ce jeu? Ses déclarations sur le blocus anglais sont à cet égard une indien lion plus qu’inquiétante. Qu’il y prenne garde d’ailleurs. Le Jour où les Allemands sentiront la partie perdue, c’est sur le dos de la France qu’ils chercheront à négocier avec Londres. Déjà l’autre jour la radio allemande nous a fourni une bien singulière émission où les Anglais étaient, pour une fois, traités avec courtoisie et leur Empire colonial avec considération. Dans les offensives de paix qu’elle peut être amenée à promulguer, on peut être sûr, que ni le souvenir des indignes services rendus à l’Allemagne par La France, ni le souci de l’intégrité de nos colonies ne pèseront lourd. Si Vichy se laisse duper une fois, il peut être bien persuadé qu’il le sera toujours.