Interview sur la Radio Liberté après la sortie de Pierre Brossolette de la Radio PTT – 10 février 1939
Au moment où l’on parle d’exécutions capitales, vous voulez que je rappelle à nos camarades de Radio Liberté ce qui a été fait par l’un d’eux depuis le jour d’octobre 1936 où il a été chargé à la fois de la chronique de politique étrangère du Radio-Journal de France et du secrétariat de la section des informations du Conseil supérieur des émissions.
Vous avez raison.
Militant, je dois, en effet, des comptes à des militants.
Pierre Brossolette, avec bonne grâce, s’apprête à subir le supplice de l’interview. Tout de suite avec la facilité et l’intelligence qu’on lui connaît, il entre dans le vif du sujet.
Nos camarades savent ce qui a été fait devant le micro. À l’information morte, ils savent que je me suis toujours efforcé de substituer l’information vivante. Dans tous les cas où il n’apparaissait pas nécessaire de citer intégralement un texte, ils savent qu’à la lecture insipide de dépêches confuses, je me suis toujours efforcé de substituer des résumés clairs et qui fassent comprendre les événements en les remplaçant dans leur cadre ou dans leur enchaînement.
Monsieur Georges Bonnet a bien voulu reconnaître que j’ai été objectif, puis qu’après avoir fait minutieusement éplucher mes chroniques, il n’a pas pu trouver à y redire quoi qui ce soit et il a dû chercher d’autres prétextes pour exercer contre moi sa vindicte.
Objectif, qu’est-ce à dire ?
C’est-à-dire que j’ai donné toutes les dépêches, aussi bien celles qui pouvaient attrister nos amis socialistes ou communistes que celles qui pouvaient fâcher les gens du Colonel La Rocque ou de M. Maurras. Mais, tandis que les fanatiques qu’excitent Candide et Grengoire n’ont cessé de pousser les haut cris quand je leur disais que Madrid n’était pas prise, nos amis ouvriers et républicains ont montré la supériorité de leur éducation politique admettant toujours, ce qui est le bon sens même, que l’information ne peut pas toujours combler leurs désirs politiques. Voilà la différence.
Un temps d’arrêt. Après s’être animés, les yeux de Brossolette s’adoucissent, leur éclat s’atténue.
Mais, l’objectivité n’exige pas, à mon sens, l’inhumanité. J’ai toujours cru, et je crois plus que jamais, que l’émission radiophonique a le droit, qu’elle a le devoir d’être émouvante. Sans forcer les mots, sans même parfois les employer, je n’ai jamais caché le caractère poignant de certaines nouvelles. Quelques imbéciles se sont indignés parce que je l’avais fait le jour où les troupes allemandes sont entrées en Tchécoslovaquie, comme je l’ai fait encore, dans la dernière émission que M. Daladier m’a permise, pour les malheureux réfugiés de l’Espagne républicaine. Je leur dis simplement ici que c’est par ce caractère humain qu’un très vaste public étranger avait fini par être conquis à nos émissions du Radio-Journal de France, en Italie, en Suisse, en Belgique notamment, mais aussi jusqu’en Roumanie et en Yougoslavie. Quand ce public aura été reperdu, les hommes qui devraient avoir le souci du rayonnement français à l’étranger verront ce qu’il peut en coûter au pays.
Maintenant, Brossolette, voulez-vous nous parler du travail que vous avez accompli en dehors du micro pour apporter un peu d’ordre à ce service anarchique qu’étaient les informations de la radio d’État et pour lui donner l’extension qu’exigeait son rôle capital dans la vie de la nation ?
Comme secrétaire du comité de rédaction du Radio-Journal de France et de la section des informations du Conseil supérieur, ce sera l’une de mes fiertés d’avoir fait doter les journalistes de la radio d’un commencement de statut rationnel : aux rémunérations élastiques, tantôt dérisoires et tantôt scandaleuses, sous la forme humiliante du « cachet », ont été substitués des traitements fixes. Un barème a été établi, comme pour la presse écrite. Le budget du Radio-Journal a été ainsi établi sur une base fixe sans dépassements arbitraires ni retours de bâton. Il y a eu là un énorme travail d’assainissement dont on a le droit de s’enorgueillir aujourd’hui…
Et dont vous devez être personnellement félicité.
Ce sera aussi l’une de mes fiertés que d’avoir, au même titre, contribué à réorganiser les émissions en allemand du poste de Strasbourg, et à créer les émissions en italien de Nice-PTT, les émissions en espagnol de Toulouse-Pyrénées, les émissions en anglais de Lille et de Rennes. Un prodigieux instrument de propagande a ainsi été mis au point, qui pourrait rendre d’énormes services s’il était utilisé à plein.
Notre ami a fini. Il vient de dresser le bilan de deux années et demie passées au service quotidien de la radio d’État. Nos camarades jugeront si c’est par de sanctions qu’il méritait d’être récompensé.
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