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Bourguignoux

Quels rapports entre Léon Blum et Pierre Brossolette ? Qui est Pierre Brossolette dans ces années 30 ?

par Alain Bergounioux

 

Donc il faut répondre : Brossolette, quel socialiste ? Hier comme aujourd’hui, il y a plusieurs définitions possibles. Je crois que je ferais quatre remarques.

La première, pour bien comprendre, Brossolette a trente ans en 1933. Donc, il fait pleinement partie de cette génération qu’on appelait les non-conformistes des années trente. D’ailleurs, il a parfaitement travaillé dans ces revues. Il fait pleinement partie de ces jeunes gens au début des années trente qui sont des insatisfaits de la vie politique telle quelle est, soit la reprise sur la troisième République. Et, lucides et inquiets face à une France qui est en difficulté dans le monde tel qu’il est sorti de la première guerre mondiale.

Et donc, toutes ces idées à gauche et à droite qui sont brassées, Brossolette va être un de ces membres de cette nouvelle génération. Et il faut voir que dans son socialisme, il y a l’influence d’idées nouvelles. Ce sont les idées notamment planistes, de l’économie planifié et il va fréquenter, à gauche, des groupes qui vont porter, tenter de renouveler la doctrine et la politique socialiste. Notamment, je n’en citerai qu’un le Groupe Révolution Constructive avec un autre normalien à sa tête, Georges Lefranc, qui n’a pas évolué comme lui, mais il y avait aussi le jeune Claude Lévi-Strauss, jeune SFIO, même si ensuite il s’est écarté de la politique. Et ces jeunes gens pensaient que le socialisme dépérissait parce qu’il n’avait pas de doctrine adaptée aux réalités nouvelles. Et qu’il fallait travailler les réformes de structure.

Donc, première dimension Pierre Brossolette fait partie de cette génération de ces intellectuels non-conformistes des années 30.

Mais, le combat ne peut pas être qu’individuel, il ne peut pas être qu’intellectuel. Et c’est aussi, deuxième dimension, un militant. Et on a parlé de la Fédération de l’Aube, mais pour les histories et le politiques qui sont ici et qui savent ce que c’est que la vie d’un parti dans la réalité, Brossolette n’a pas été un adhérent comme ça, simplement fréquenter les entourages des hommes de pouvoir. Il a été un vrai militant dans la Fédération de l’Aube, petite fédération, difficile, hier comme aujourd’hui d’ailleurs pour le socialisme, où il a vraiment rénové avec toutes les tâches militantes.

Et je voudrais évoquer ici, parce que souvent oubliée, la figure de sa femme Gilberte Brossolette qui était avec lui dans ce travail militant. Elle collait des enveloppes, participait aux réunions, etc. Donc, Brossolette a été militant et il a occupé de fonctions particulièrement ingrates

 

On a évoqué ses insuccès électoraux dans ce département difficile, mais il a été pendant cinq ans premier secrétaire fédéral. Et Lionel Jospin sait ce que c’est et ce que ça veut dire comme tâches ingrates et difficiles.

 

Donc, c’est le militant. Donc, c’est l’homme d’action. Avant la Résistance il n’y a pas de séparation entre la pensée et l’action.

 

Troisième point, c’est le rapport à Léon Blum. Et là, j’évoquerais un texte, le premier texte que j’ai lu de Brossolette quand j’étais historien débutant, quand je travaillais sur les années 30. C’est un texte moins connu, mais qui pourrait se lire avec le Pierre Arditi, mais qui tient la route. C’est une intervention de Pierre Brossolette au Congrès de juillet 1937, en tant que représentant de la Fédération de l’Aube, et c’est un mois après la chute du Gouvernement du Front Populaire. Donc c’est l’inventaire et il le fait l’inventaire. Et c’est très intéressant ce texte parce que c’est un texte où il y a une autre dimension de Pierre Brossolette, la dimension la plus connue où il dit « nous ne sommes pas un parti comme un autre ».

 

Et je ferai une seule citation, que je la trouve assez belle : « L’autre jours, Vincent Auriol devant le Sénat disait que « je ne suis pas un titan » et bien nous nous voudrions que notre parti soit un parti de titans dont la chute ne puisse souvenir qu’au milieu de tonnerres et d’éclairs. » Donc, vous voyez déjà la dimension d’une politique qui a sa part de mystique.

 

Mais dans ce discours, c’est très intéressant parce que Pierre Brossolette défend la motion de la bataille socialiste, Alors il faut entrer un peu dans quel socialisme. Or la bataille socialiste qui était animée par des figures un peu oubliées comme Jean Rimousky, très connu dans l’entre-les deux-guerres, était à la gauche du Parti Socialiste, c’était l’une des deux tendances de gauche du Parti Socialiste qui veut le rapprochement avec le parti communiste, farouchement antifasciste et volontariste. Et donc Pierre Brossolette mène une critique de gauche du Bilan du Front Populaire et ce qu’il reproche au Front Populaire c’est de ne pas avoir fait le contrôle des changes, déjà par rapport au capitalisme financier. Il y a des phrases que je n’ai pas le temps de lire mais qui résonnent aujourd’hui.

 

Et, au même temps dans ce discours, où il défend la motion de la bataille socialiste, c’est un discours très respectueux vis-à-vis de Léon Blum. Et on sent que l’influence, l’image de Léon Blum pour Pierre Brossolette a toujours été importante. Et Il fait l’éloge explicite de Léon Blum et du bilan du Front Populaire.

Donc, troisième dimension, le jeune non-conformiste – le jeune planiste à la recherche d’idées nouvelles -, le militant,  mais aussi l’exigence en politique qui s’accompagne de la responsabilité. Parce que toute en étant membre de cette tendance de gauche du parti socialiste, qui n’est pas pour la participation au gouvernement qui succède au gouvernement de Léon Blum, le gouvernement Chautemps, Brossolette dit très nettement, mais je ne voterai pas contre la participation que demande Léon Blum. Et donc responsabilité aussi. Cette dimension, cette alliance très intéressante entre l’exigence politique mais aussi la responsabilité. Et on sent bien que ce gouvernement Chautemps n’a pas l’air de plaire au militant Pierre Brossolette. Léon Blum l’a demandé et il ne votera pas contre l’avis de Léon Blum.

Donc je crois que c’est ce rapport et une des biographes de Pierre Brossolette, Guillaume Piketty, dans ce années 30, 1936-37,  Pierre Brossolette était un blumiste de gauche. Je crois que c’est assez juste et puis le grand rapprochement évidemment avec Léon Blum, on l’entendait par la voix si émouvante de Léon Blum , c’est évidemment à partir de 38, c’est à dire les combats communs. Et Pierre Brossolette qui va s’identifier, après avoir accepté, la rage au cœur, les accords de Munich, s’identifiait au combat contre le nazisme, pour la Résistance. Et il va être un des piliers d’un petit groupe qui s’appelle le groupe AGIR, proche de Léon Blum, qui va se dresser contre les pacifistes de l SFIO, son secrétaire général Paul Faure et la tendnce pacifiste on trouve d’autres intellectuels comme Georges Albertini qui ira plus loin dans la voie opposée puisqu’il sera lieutenant de marcel Déat, de l’Aube aussi. dans la collaboration. Donc, le combat est à tous les niveaux.  Dans ce groupe AGIR il est avec Daniel Meyer, journaliste au Populaire comme lui, qu’il va retrouver ensuite, nous en parlerons tout à l’heure, dans la Résistance.

C’est important de qualifier non pas un socialisme général mais un socialisme extrêmement engagé, à base de volontarisme, mais aussi de responsabilité et d’un immense respect pour Léon Blum, qu’on retrouvera dans la Résistance.