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Discours à la BBC, 2 juillet 1943

Le Comité français de libération nationale a nommé hier le nouveau gouverneur-général de l’AOF. Les Français peuvent maintenant jeter les yeux sur la carte du monde. Qu’ils regardent : de Brazzaville à Tunis, de Tananarive à Alger, de la Nouvelle-Calédonie à Rabat, de Djibouti à Dakar, les douze millions de kilomètres carrés qui constituent l’essentiel de l’Empire français et dont pendant deux ans et demi l’un de nos déchirements a été de songer constamment qu’une grande partie n’était plus l’Empire français parce qu’elle dépendait d’une France qui n’était plus la France, ces douze millions de kilomètres carrés sont à nouveau réunis, sous un pouvoir français unique, dans la guerre française, dans la légalité française, et sous des gouverneurs généraux, résidents généraux et hauts-commissaires français dont on ne peut plus dire qu’un seul ait jamais été le domestique, le complice ou l’exécuteur des hautes œuvres de Vichy, c’est-à-dire par l’entremise de Vichy, le domestique, le complice ou l’exécuteur des hautes œuvres de l’ennemi.

Ce rassemblement de l’Empire dans la guerre française, dans la légalité française, et sous des chefs dignes du nom de Français n’a pas été simple : rien n’est simple dans la vie. Il n’a pas été l’œuvre d’un jour, d’un mois ou d’un an : rien dans la vie n’est l’œuvre d’un jour, d’un mois ou d’un an.

Pour que l’Empire rentre peu à peu dans la guerre française, il a d’abord fallu qu’en août et en septembre 1940, une poignée de soldats, de marins et d’administrateurs au grand cœur, se levant à l’appel historique du général de Gaulle, arrache à l’asservissement et à la neutralité complice notre Afrique équatoriale et notre Cameroun, nos comptoirs de l’Inde, notre Nouvelle-Calédonie et nos Etablissements du Pacifique ; il a fallu que successivement, par l’action conjuguée des armes alliées et du soulèvement intérieur de libres Français, soient libérées la Syrie, Madagascar, la Réunion et Djibouti ; il a fallu enfin que, par la quadruple intervention des forces anglo-saxonnes, des héros obscurs et magnifiques de la Résistance française en Afrique du Nord, des divisions appelées au combat par le général Giraud et des brigades glorieuses

Pour que l’Empire rentre clans la légalité française, il a fallu d’abord que, dans tous les territoires libérés pendant deux ans et demi, le Comité national français dénonce, à la minute même de leur libération, en même temps que l’armistice signé par Vichy, le régime de Vichy lui-même, qu’il annule tous les actes par lesquels Vichy avait escamoté les libertés publiques et privées au profil du pouvoir personnel et arbitraire d’un homme, qu’il déclare nuls et non avenus tous les textes par lesquels Vichy avait l’ail de la trahi son un devoir et du patriotisme un crime. Il a fallu ensuite qu’en Afrique du Nord, le général Giraud proclame le 14 mars, l’annulation de toutes les lois promulguées depuis le 22 juin 1940. Il a fallu enfin que le 3 juin, après la poignée de main historique du général de Gaulle et du général Giraud sur le terrain de Boufarik, se constitue le Comité français de libération nationale qui a aussitôt nommément condamné le régime de Vichy ; et il a fallu que depuis lors les exigences de la justice amènent la levée des mesures d’exception qui subsistaient encore, la libération des dernières victimes qui traînaient encore dans les prisons et dans les camps de concentration, et la réhabilitation des patriotes condamnés par les traîtres.

Pour que l’Empire français soit sous l’autorité de gouverneurs généraux, de résidents généraux, de hauts-commissaires dignes de la France, il a fallu qu’enfin à Alger, à Tunis, à Rabat, à Dakar, comme cela s’était fait instantanément dans tous les territoires reconquis pendant les trente premiers mois de la lutte pour la libération, les palais gouvernementaux changent de main et que les représentants du Comité de la Libération n’y fussent plus ceux du gouvernement de l’abdication. La fuite de l’Amiral Esteva dans les bagages de l’ennemi avait réglé la situation à Tunis ; la nomination du général Catroux et de M. Puaux l’avait réglée à Alger et à Rabat. La nomination de M. Cournarie vient de la régler à Dakar.

Ainsi, par un effort tenace, l’unité de l’Empire français, préfiguration timide mais nécessaire de l’unité française de demain, s’est peu à peu réalisée dans ce que requéraient l’honneur et la dignité. Les Français ont le droit d’être fiers. Car, sur leur Empire unifié, le drapeau qui flotte partout, c’est bien le drapeau de la France éternelle, le drapeau qui a refusé, en juin 1940, de s’incliner devant la défaite et dans la honte.