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Mes premières paroles seront d’abord pour vous remercier, monsieur le président, ainsi que les sœurs a et les frères qui appartiennent à cette loge, et peut-être à d’autres loges, de nous avoir invités à cette cérémonie qui est, pour les membres de ma famille, très émouvante.

Je voudrais aussi exprimer ma reconnaissance pour avoir invité un grand nombre de personnalités, j’en connais pas mal mais pas tous, et d’avoir transformé cette cérémonie en quelque chose de relativement grandiose, surtout quand on connait la tradition des loges d’êtres plutôt discrètes dans leurs affaires, dans leurs travaux, et je suis très heureux que cette cérémonie soit ouverte et qu’elle soit connue à l’extérieur, quand nous aurons terminé ; peut-être que ce n’est pas possible mais ce serait un souhait que je ferais.

Cela dit, nous avons été un peu surpris par la décision qui a été prise dans la loge de cette cérémonie, mais pas complètement. Juste après la guerre, nous avons appris que mon père était un Franc-Maçon, et au bout d’un certain temps nous avons eu des contacts avec les membres de la loge à laquelle il avait appartenu et qui, nous avons appris que c’était la loge Emile Zola à qui on a ajouté le nom de Brossolette, et nous avons su effectivement que la Franc-Maçonnerie française n’avait pas oublié Pierre Brossolette, et il y a eu des contacts mais nous étions trop jeunes, ma sœur et moi pour comprendre un peu ce que c’était. Cela dit, cela a du se passer en 46-47, je pense, et il a fallu quand même presque 70 ans pour que à nouveau la Loge, la Grande Loge de France s’occupe de Pierre Brossolette. Ce n’est pas, c’était long, mais après tout c’est une chose qui s’explique : juste après la fin de la guerre, et en plus j’ai vu cela surtout sur les gens qui revenaient des camps de concentration en Allemagne, ils ne voulaient pas parler de ce qu’ils avaient soufferts, de même que les officiers, les soldats, ceux qui avaient survécu dans les armées de la France Libre ou de la France combattante ensuite, ne voulaient pas parler de ce qu’ils avaient fait, ils avaient reçu des décorations, ils avaient été choyés et cætera, mais au fond il y avait tant de souffrance que l’on voulait oublier, les familles voulaient pouvoir aider leurs enfants et oublier, effectivement on n’oublie jamais complétement, mais on ne voulait pas parler, on ne voulait pas parler, nous ne voulions pas parler de notre père, ma sœur et moi, ma mère non plus, et beaucoup de gens avec. Au bout d’un certain temps quand même, on a parlé de la résistance et des résistants, et malheureusement pas d’une façon très agréable, la politique française avait repris son cours, pas très brillant, et où on se battait pour savoir si on était socialiste très résistant ou si on était un homme de droite, il y avait effectivement toutes les nuances de la vie sociale française dans la résistance, et il y a eu beaucoup de livres et de mémoires qui se sont faits, pas toujours d’une manière honnête, pas toujours d’une façon qui était juste, il y avait même beaucoup de partialité. Dans cette partialité, mon père a été plusieurs fois un peu égratigné, peut-être un peu plus, nous n’avons en gros jamais réagi, nous n’avons pas voulu du tout entretenir une discussion sur Pierre Brossolette, il était assez grand homme pour que son souvenir soit respecté, ceux qui ne le faisaient pas ne méritaient pas qu’on s’y arrête ; enfin il y a quand même eu deux ou trois écrivains qui avaient un petit peu exagéré, ma sœur a écrit à l’un, j’ai écrit à un autre, qui ont rectifié ceux qu’ils avaient écrit, dans leur œuvre c’était effectivement pas très brillant ce qu’ils disaient.

Mais ensuite, je veux dire, la France a eu beaucoup d’affaires et de problèmes, on a eu l’Indochine, on a eu la guerre d’Algérie, on a eu mai 68, et les français ne pensaient pas beaucoup à la résistance. Heureusement, vers la fin du siècle, quelques historiens, et quelques biographes d’hommes politiques importants, ont commencé à regarder avec un peu plus de distance et un peu plus d’objectivité ce qu’avait été la résistance, ce qu’avait été Pierre Brossolette, ce qu’avaient été bien d’autres et cætera. Un certain nombre de livres sont sortis, et effectivement on a reparlé de Pierre Brossolette, dans des articles sur ses livres, et des historiens ont récemment posé la question : « Mais pourquoi est-ce que Pierre Brossolette n’est pas au Panthéon ? ». Nous avons répondu qu’il y avait eu des démarches, ma mère en avait parlé au président Mitterrand, je crois que des gens que je connaissais en avait parlé à monsieur Sarkozy, mais cela n’avait jamais abouti. Mais là, l’incitation qui nous a frappé, d’historiens qui souhaitaient que l’on fasse quelque chose, et que l’on envoie les cendres de mon père au Panthéon, nous a touchés, nous avons discuté entre nous, et avec Mona Ozouf, ma cousine germaine, qui a pris contact avec l’Elysée, qui a donc parlé avec le président de la République, monsieur François Hollande qu’elle connaissait, que Mona Ozouf et ma fille, Sylvie Pierre Brossolette connaissaient très bien, et elles lui ont dit : « est-ce que l’on peut faire quelque chose, est-ce que vous êtes d’accord, si vous y êtes opposé on ne fera rien », et il a dit « mais pas du tout, pourquoi pas, c’est une bonne idée, j’ai lu le dernier livre paru sur Pierre Brossolette, c’est un grand résistant, mais faîtes une campagne ». Alors nous avons fait une campagne, certains d’entre vous y ont participé, ça a été un peu bizarre, un petit peu difficile, mais enfin avec beaucoup de bonne volonté, on est arrivé finalement à une décision, grâce d’ailleurs à l’idée que nous avions eue, comme on parlait de Panthéon auquel il n’y avait pas presque pas de femmes, on a pensé nous à proposer des femmes, et en particulier Germaine Tillon, et madame Antonioz de Gaulle, qui étaient des femmes parfaites pour aller et cætera. C’est d’ailleurs comme cela que ça s’est débouché cette affaire, c’est toujours un peu compliqué la politique, s’en mélant. Alors bon nous sommes devant une espèce de nouvel intérêt pour Pierre Brossolette, et ce n’est pas par hasard évidemment que vous avez vous-même saisi cette occasion de renaissance de la connaissance de Pierre Brossolette, pour faire cette grande cérémonie.

Cela dit voilà les raisons je crois pour lesquelles nous sommes réunis, cette campagne que le président de la République avait recommandé, je ne sais pas si il s’était rendu compte que on allait faire un gros effort, et que c’était vraiment une campagne, presque électorale, enfin ça a été un peu comme ça et après tout c’était une réussite.

Cela dit, je vous parlerai un peu de mon père, ce que je n’aime pas beaucoup faire. Je n’ai jamais beaucoup parlé de mon père à mes enfants ni à mes petits-enfants, je pensais que c’était des gens jeunes qui avaient leur vie, qu’on n’avait pas à les encombrer avec le passé dramatique et difficile à accepter de mon père. Mais, donc je n’aime pas beaucoup parler de mon père, parce que je ne peux pas en dire du mail, il n’y a pas de raison, et sortir les compliments et la liste des vertus qu’il a pratiqués ne sont pas très convaincantes de la bouche de sa famille. Donc je vous parlerai de la vie de mon père d’une façon un petit peu différente.

Il a eu trois groupes d’années qui ont été très différentes dans son existence.

Les premières années c’est 1927-1931, il a commencé ses premiers article ; le premier article qu’il a écrit était pour dire : il faut s’associer avec l’Allemagne c’est-à-dire faire l’Europe, on ne prendra pas les Anglais parce que eux c’est le Sterling, c’est un grand pays et cætera, mais si on veut qu’il n’y ait plus de guerre, il faut effectivement aider les Allemands, financièrement ils étaient un peu dans des difficultés, et même si c’est un petit peu déséquilibré comme partenariat, si c’est le prix pour payer la paix pour avoir la paix, c’est un prix que nous devons payer, on en a pas dit plus n’est-ce pas en 1955 et 56 quand on a pensé à faire l’Europe. Il était effectivement très prémonitoire, et ça n’a pas cessé. Mais là il avait la plume facile, il était enthousiaste, il était pacifiste, il était pour la SDN, il trouvait que Briand, bon qui n’était peut-être pas un homme tellement… qu’il n’avait pas que des qualités, mais enfin il était pour la paix, et il a passé ces premières années au fond, de 1927 à 31 avec un dynamisme pacifiste qui a été noté.

Puis il a été obligé de virer, en 1931-32, il a parfaitement compris ce qu’Hitler était et ce qu’il allait devenir, et il avait aussi regardé un peu ce qui se passait en Union Soviétique, et il trouvait que les attitudes de ces deux grands pays n’étaient pas très rassurantes. Et donc, il a commencé à faire des articles qui étaient difficiles, parce que autant il voulait la paix, autant il voulait prévenir les risques de domination et de guerre auxquels pouvaient arriver ces deux grands pays totalitaires, l’URSS et l’Allemagne nazie. Et je le crois, il a un peu souffert parce que ce n’est pas facile d’être un pacifiste, d’indiquer au gouvernement qu’il y avait des choses qu’il ne fallait pas faire, et à la fin de 1935, mon père a fait un article en disant : il ne faut pas, il pensait que les allemands allaient remilitariser la rive gauche du Rhin, je crois qu’il est le seul qui ait écrit un article pour dire « Il faut absolument que le quai d’Orsay voit l’Angleterre et qu’on se mette ensemble pour empêcher cela, les Allemands sont incapables de faire ça, ils n’ont pas une armée encore bien importante mais bon, ils vont nous sonder de cette façon-là ». Et naturellement ils ont occupé la rive gauche du Rhin et il ne s’est rien passé, alors ensuite ça a été l’Anschluss puis ça a été Munich et cætera, et il n’était pas dans une position agréable, il voulait la paix, mais il ne voulait pas non plus, il ne pouvait pas brusquer les gouvernements, les obliger à changer de politique, mais on était en Angleterre en plein apaisement, et en France on n’était pas beaucoup plus courageux. Alors ça c‘est la deuxième partie, 31/32 – 39, qui n’a pas été facile, il s’est fait beaucoup d’ennemis, mais ça il était indifférent à ce genre de chose, bon c‘est comme ça c’est comme ça, il disait ce qu’il pensait, il pensait qu’il avait raison et voilà.

Alors, il y a eu une troisième tranche de vie, celle qui l’a sans doute le plus passionné, et c’est celle de la résistance. Et j’ai là quelque part un morceau d’une lettre qu‘il a écrite à pierre Mendès France, Mendès France avait quitté la France, s’était évadé de France au début de 1942, il est allé en Amérique voir sa femme et ses enfants, et je pense que c’est de là qu’il a écrit une lettre à mon père, et ce que j’ai, parce que je crois que c’est la famille Mendès France qui l’a donnée à ma famille, j‘ai la lettre authentique de mon père, faite à la main, avec Smith Terrace qui était notre adresse à Londres, et il écrit des choses très gentilles à Mendès France en disant « j’espère qu’on vous verra bientôt ici, et cætera », et il y a une phrase qui m’a arrêté, je regardais un peu en feuilletant ce papier, alors de Londres il écrit à monsieur Pierre Mendès France : « C’est en France depuis deux ans que j’ai fait le plus grand travail de mon existence, ici (c’est-à-dire à Londres) cela revient tout simple, presque trop simple (il était le numéro 2 du BCRA, en fait il avait un peu plus vite les idées qu’il fallait que le sympathique colonel Dewavrin (NDLR : le colonel Passy), et il met dans la fin de sa lettre : j’ai un peu la nostalgie de la bataille clandestine. Alors mon père était un guerrier, un intellectuel guerrier, mais il y allait physiquement n’est-ce pas, en 1940 il a ramené tous ses soldats, il était capitaine d’une compagnie, il s’est conduit comme un guerrier, il est rentré à pieds avec eux, personne n’a perdu ses armes et cætera. La vie militaire, il trouvait ça assez intéressant. Cela dit, il était d’une grande prudence, il était toujours très jeune dans sa façon de se comporter avec les autres, les enfants, les femmes, les cousins et cætera, je crois qu’il avait une grande force d’âme, il avait un certain scepticisme à l’égard des possibilités de faire du monde un paradis, il n’y croyait pas, mais il pensait qu’il fallait faire tout ce qu’on pouvait pour améliorer les choses, et il s’y prêtait beaucoup. Donc il n’avait aucune, dans les échecs parce que bien souvent ce qu’il a proposé n’a pas été retenu, à tort je pense, on le sent on le sait maintenant, ça ne le contrariait pas, il était souriant, il prenait ça avec un peu d’humour, et il recommençait quand il n’avait pas eu de possibilité de le faire.

Voilà ce que je voulais vous dire rapidement, parce que vous avez déjà eu de longs moments d’écoute, et je vais m’asseoir maintenant. Merci.