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Lionel jospin

 Discours de Lionel Jospin, ancien Premier Ministre

 

« Par tempérament personnel je suis peu porté aux cérémonies comme aux décorations.

Pourtant je sais l’importance des célébrations et des rituels pour la République dans une société qui manque cruellement de références et qui tend à faire de l’instant qui passe et de l’individu indistinct la dominante de sa vie.

Accorder l’hommage de l’entrée au Panthéon à des personnalités non pas fameuses mais remarquables, dont les valeurs, les actes et la vie ont honoré notre pays, est l’un de ces rituels précieux.

Dans nos institutions, c’est au Président de la République qu’il appartient de se prononcer sur cette forme particulière d’hommage. Le Président François Hollande a demandé à Monsieur Philippe Bélaval, président du Centre des Monuments nationaux, de conduire une mission de réflexion sur « la manière de renforcer le rôle que le Panthéon est susceptible de jouer dans l’affirmation et la diffusion des valeurs universelles portées par la France »

Monsieur Bélaval a remis au Président de la République un rapport de réflexion globale sur la façon de redonner du lustre à ce monument national.

J’ai trouvé ce rapport très intéressant.

Il a également fait des suggestions sur les personnalités qui pourraient, dans les années qui viennent, recevoir l’hommage de l’entrer dans notre monument républicain. Elles me convainquent moins.

D’une part, je ne suis pas certain que le concept de « résilience républicaine » pour mesurer l’exemplarité d’une vie soit tout à fait intelligible et parle immédiatement au peuple – que, selon le rapport, on veut faire entrer au Panthéon ».

D’autre part, même si je partage le souhait du rapporteur que les femmes soient plus nombreuses au Panthéon – où elles sont si peu nombreuses – je ne suis pas persuadé qu’il faille les y conduire sous le signe de l’exclusivité, ce qui soulignerait le caractère de rattrapage de l’acte.

Honorer un ou deux hommes et plusieurs femmes  servirait mieux, à mon sens, l’objectif recherché.

Mais je n’en dirait pas plus puisque le président de la République sera amené, bientôt, à décider souverainement.

Madame Sylvie Pierre-Brossolette m’a demandé, ainsi qu’à d’autres personnalités, de faire partie du comité de soutien pour le transfert des cendres de Pierre Brossolette au Panthéon. J’ai naturellement accepté et je voudrais vous dire pourquoi.

Une raison pourrait me dispenser d’en dire d’autres. C’est un honneur pour moi que d’être invité à saluer la mémoire d’un homme qui impressionna tous ceux qui le connurent par son intelligence, sa culture, son talent d’expression et d’écriture. Les qualités morales, les vertus civiques, les convictions républicaines, l’indépendance d’esprit, le courage physique et, dans le moments ultimes, le sacrifice consenti de sa vie ont donné à Pierre Brossolette la figure du héros.

Je voudrais pourtant m’être en lumière quelques aspects de la personnalité de Pierre Brossolette qui, aujourd’hui encore, m’intriguent et me captivent.

Comment ne pas être saisi par le contraste qui s’impose entre les certitudes qui ont accompagne sa vie – l’attachement à la république , la conviction  socialiste, le rejet des totalitarismes, l’admiration pour le général de Gaulle – et l’indétermination du destin qu’il aurait fait sien (particulièrement au plan de choix politiques) s’il avait été avec nous après la guerre. C’est pourquoi l’on doit s’identifier à Pierre Brossolette mais on ne peut récupérer son nom, de façon partisane.

Sans doute parce que Pierre Brossolette était lui même fait de contrastes. Il était passionnément républicain mais critiquait férocement les mœurs d e la 3ème République . Il était socialiste (et admirateur de Léon Blum) mais s’était éloigné des notables de son parti. Il était gaulliste (au sens où il jugeait le chef le la France Libre irremplaçable pour incarner la France Résistante) mais il était rebelle à sa façon de manier les hommes. Il était pour la paix mais il avait été anti-munichois et il menait la guerre de Londres.

Il appartient – par ses études brillantes, sa formation, sa réputation éclatante d’éditorialiste – à l’élite intellectuelle de son pays mais il pensait que les élites avaient failli avant et après 19040 et son affection allait au peuple et aux humbles. C’était un homme de pensée mais il s’était mué en organisateur, par exemple pour travailler à la constitution du Conseil National de la Résistance. C’était un être libre mais qui savait que, pour remporter la victoire sur le totalitarisme, il fallait se fondre, sans se renier dans des mouvements collectifs.

 J’admire sa lucidité, dont je ne donnerai qu’un exemple, sur un point crucial du désastreux entre-deux-guerres. Il fut pour la paix et la réconciliation avec l’Allemagne – suivant en cela Aristide Briand – quant il aurait été sage, non de punir et humilier ce pays vaincu, mais de tendre la main à une jeune république qui s’essayait à la démocratie. Il estima indispensable de préparer la guerre contre les illusions du pacifisme quant la nature effroyable du nazisme et l’appétit sans frein de conquête de Hitler ont indiqué que la confrontation armée était inévitable.

Enfin, est exemplaire le témoignage que nous laisse la vigueur de son caractère, son attachement passionné à ses convictions et son goût du débat. Il nous fait nous souvenir que le Résistance n’était pas aseptisée et qu’il importe de ne pas l’embaumer. La Résistance était un moment et un mouvement plein de fièvre. Malgré le ciment du patriotisme ou de l’anti-facisme, la trempe des personnalités, la diversité des engagements politiques, l’immensité des enjeux et les incertitudes sur l’avenir ont souvent entrainer de l’effervescence. Il n’était pas illégitime que des ambitions se heurtent et il était normal que des options se confrontent (comme, par exemple, parmi d’autres, celles de Pierre Brossolette et celles de Jean Moulin, qui d’ailleurs ne les séparaient pas sur l’essentiel). Sans cet esprit de liberté, comment ces hommes et ces femmes auraient-ils pu lutter non seulement pour la libération de leur pays mais aussi pour le retour de la démocratie ? Pierre Brossolette a vécu et est mort pour elles. C’est pourquoi, présent dans nos esprits et nos coeurs, il serait juste qu’il entre au Panthéon de notre République. »