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Il y a 80 ans, le 26 mars 1943, le CCZN – Comité de coordination des mouvements de zone nord était créé sous l’impulsion de Pierre Brossolette et du colonel Passy. Un épisode fondamental dans le processus de formation du CNR – Conseil national de la Résistance.

 

Mémoire vive

Armées- Esprit défense n° 6 | hiver 2023

Ministère des Armées

« Arquebuse » et « Brumaire », DEUX ESPIONS au cœur du PARIS OCCUPÉ

Par Kévin Savornin

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Début 1943. La Seconde Guerre mondiale bascule petit à petit en faveur des Alliés. En haut lieu, le commandement commence à envisager un débarquement dans le Nord de la France. De son côté, le général de Gaulle pense déjà à l’après. « Pour préparer au mieux l’arrivée des Alliés et éviter la guerre civile lors de la Libération, de Gaulle sait qu’il doit unifier les mouvements de Résistance, aussi disparates soient-ils », explique Sébastien Albertelli, commissaire de l’exposition Les Agents secrets du général, présentée au musée de l’ordre de la Libération en 2022. Or, si les mouvements de la zone sud reconnaissent désormais l’autorité du général de Gaulle grâce au travail de Jean Moulin, c’est loin d’être le cas pour la zone nord. Les poches résistantes y demeurent éclatées, isolées et sans contact entre elles ou avec Londres.

Le général de Gaulle mandate alors le colonel Passy – de son vrai nom André Dewavrin –, le patron du Bureau central de renseignement et d’action1, et son adjoint, Pierre Brossolette, pour prendre contact avec les chefs des principaux mouvements de cette zone nord et les fédérer sous son autorité. Malgré les risques encourus dans une France sous le joug allemand, Brossolette, nom de code « Brumaire », se pose en toute discrétion à bord d’un petit avion militaire britannique dans la campagne berrichonne sous la pleine lune, la nuit du 26 au 27 janvier 1943. Sur lui, des faux papiers et une capsule de cyanure cachée dans le talon de sa chaussure, à utiliser en cas d’arrestation par la Gestapo ou la police française. Après un détour par Lyon où il fait part à Jean Moulin de ses intentions, il « se planque » à Paris, dans le 16e arrondissement. Il y multiplie les contacts et utilise les relations nouées durant sa carrière de journaliste et de militant socialiste.

Le terrain est préparé pour l’arrivée du colonel Passy, alias « Arquebuse », qui profite d’une nouvelle pleine lune pour arriver en France à son tour. Accompagné par Forest Yeo-Thomas, un agent secret britannique, il est parachuté dans la campagne normande. Les deux hommes rejoignent ensuite Paris en train depuis Rouen. Mais la situation a changé. Passy dispose de « Nouvelles instructions » signées le 21 février 1943 par le général de Gaulle. Ce dernier charge Jean Moulin de créer un conseil de la Résistance unique à toute la France en y intégrant les partis politiques résistants, même si ces derniers sont détestés par la plupart des mouvements qui leur imputent la défaite de 1940. En d’autres termes, la mission de Jean Moulin prend le pas sur celle d’Arquebuse et Brumaire. « Mais ces derniers décident de continuer la leur. Ils désobéissent sciemment à de Gaulle. Et ils poursuivent leur entreprise de création d’un comité de coordination de zone nord uniquement composé de mouvements de cette zone en rencontrant leurs chefs tour à tour », précise Sébastien Albertelli.

En un mois, Arquebuse et Brumaire parviennent à convaincre les chefs des cinq principaux mouvements (Ceux de la Libération, Ceux de la Résistance, Front national2, Libération-nord, Organisation civile et militaire) de se ranger derrière de Gaulle. Le 26 mars 1943, le Comité de coordination des mouvements de zone nord se réunit pour la première fois et officialise sa création, au grand dam de Jean Moulin. Ce dernier reproche en effet à Brumaire et à Arquebuse d’être passés outre les « Nouvelles instructions » et de l’avoir placé devant un fait accompli.

L’ancien préfet refuse toutefois de montrer publiquement son désaccord. Au contraire, il capitalise sur cet existant et poursuit le travail d’unification militaire et politique. Il récolte le fruit de son labeur deux mois plus tard, le 27 mai 1943, date de la première réunion du Conseil national de la Résistance. Ses membres – chefs de mouvement, de parti et de syndicat résistant, zones nord et sud confondues – reconnaissent alors de Gaulle comme seul chef de la France en guerre. Le même jour, revenus à Londres, Passy et Brossolette reçoivent discrètement la croix de la Libération des mains du général de Gaulle. Le 6 juin 1944, l’action de tous sera vitale pour retarder les renforts allemands vers la Normandie.