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La mission Arquebuse-Brumaire

Mission Arquebuse-Bruumaire

« La Mission Arquebuse-Brumaire  » – texte de Guillaume Piketty, directeur de recherches au Centre d’Histoire de l’Europe du Vingtième Siècle (CHEVS-Sciences Politiques), directeur d’études et professeur associé à l’École doctorale de Sciences Politiques (1)

« La mission Arquebuse-Brumaire », Espoir n°135, juin 2003 – Lien vers le PDF sur le site de Charles de Gaulle (cliquer ici)

 

Mission Arquebuse-Brumaire

 

Dès l’été 1940, la France Libre entreprit d’établir des liaisons avec la France occupée. Pendant près de dix-huit mois, ces efforts tendirent essentiellement à la création de réseaux clandestins à des fins militaires. A partir du début de l’année 1942, l’accent fut mis sur l’établissement de rapports suivis avec les mouvements de Résistance. Reprenant et amplifiant les premiers travaux de coordination conduits par certaines des organisations résistantes, la France Libre puis Combattante s’attacha alors à coordonner l’action de la Résistance intérieure puis à fédérer cette dernière sous son autorité. Le 27 mai 1943, la première réunion du Conseil national de la Résistance (CNR) marqua l’apothéose de ce lent et patient travail d’unification. Aussi brève qu’intense, la mission Arquebuse-Brumaire de l’hiver 1943 fut un moment clef du processus d’union résistante sous la bannière gaullienne. Elle demeure, aujourd’hui encore, un objet sur lequel mémoires et histoire s’affrontent parfois.

A la fin de l’année 1942, et à de multiples égards, la Résistance française se trouvait confrontée à des enjeux aussi importants que complexes. Le débarquement américain dans la nuit du 7 au 8 novembre avait mis l’Afrique du nord au centre des préoccupations de la France Combattante. De surcroît, le choix fait par les Américains de traiter avec l’amiral Darlan, puis, après la mort de celui-ci, avec le général Giraud avait placé le général de Gaulle en situation délicate qui menaçait aussi bien sa représentativité que sa légitimité.

En France occupée, la mission Rex confiée à Jean Moulin un an plus tôt débouchait sur d’importants résultats. Moulin avait organisé auprès de la Résistance intérieure une Délégation de la France Combattante qui commençait à prouver son efficacité. Il avait convaincu les trois principaux mouvements de la zone sud – Combat, Franc-Tireur et Libération-sud – de coordonner leur action via un Comité de coordination de zone sud (CCZS) ; celui-ci s’était réuni pour la première fois le 27 novembre. Après force négociations clandestines et un voyage à Londres d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie (Libération-sud) et Henri Frenay (Combat) au début de l’automne, décision avait été prise de fusionner les forces paramilitaires de la Résistance intérieure au sein d’une Armée Secrète (AS) dont le commandement avait été confié au général Delestraint. Par ailleurs, depuis le 23 novembre (2) André Manuel, l’un des adjoints du colonel Passy à la tête du Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA), effectuait une importante mission d’organisation et de contrôle des réseaux de renseignement de la zone libre. De son côté, le colonel Rémy, chef de la Confrérie-Notre-Dame (CND) s’était attaqué à la création d’un État-Major de la Résistance pour la zone occupée (EMZO), accordant au passage une place prédominante au mouvement Organisation Civile et Militaire (OCM) ; il profitait de sa mission pour prendre quelques initiatives politiques intempestives en direction du parti communiste. Enfin, au cours de l’automne, de manifestations en prises de position politique, et, le cas échéant, coups de mains paramilitaires, le parti communiste, d’une part, et les Comités d’Action Socialiste (CAS) de zone nord et de zone sud, d’autre part, avaient achevé de s’imposer comme des forces dont Londres allait devoir tenir compte. Cet impératif était d’ailleurs renforcé par la situation du général de Gaulle et de la France Combattante face à l’imbroglio algérois et, plus largement, aux Alliés.

Dans ce contexte mouvant, la question fut posée à Londres d’étendre à la zone nord l’œuvre de coordination de l’action résistante que Jean Moulin s’apprêtait à parachever en zone sud via la fusion de Combat, Franc-Tireur et Libération-sud en Mouvements Unis de Résistance (MUR), le 26 janvier 1943. Chef du « bloc opératoire » du BCRA, c’est-à-dire de l’instance supposée servir de trait d’union entre les Résistances intérieure et extérieure, Pierre Brossolette convainquit alors le colonel Passy puis le général de Gaulle de la nécessité d’organiser au nord de l’ex-ligne de démarcation une mission analogue à celle confiée un an plus tôt à Moulin. Normalien et agrégé d’histoire, journaliste spécialiste de relations internationales, militant SFIO proche de Léon Blum avant la guerre, anti-munichois notoire, pionnier de la Résistance au sein du Groupe du Musée de l’Homme puis de la CND, Brossolette était arrivé à Londres à la fin du mois d’avril 1942. Devenu gaulliste indéfectible pour le temps de la Guerre et de la Libération, il s’était rapidement imposé dans les rangs de la France Libre puis Combattante. Au début de l’automne, de retour d’une première mission clandestine qui avait permis le ralliement d’André Philip et Charles Vallin à la bannière gaullienne, et en raison de son expérience politique et de son amitié avec le colonel Passy, il était devenu le numéro deux de fait du BCRA et jouissait d’un réel pouvoir d’influence au sein de la France Combattante et même au-delà.

Forts de l’accord gaullien, Brossolette et Passy définirent les objectifs de la mission Arquebuse-Brumaire en ces termes (voire ici) :

– Procéder en Zone Occupée (ZO) à la séparation la plus stricte possible entre tout ce qui concerne le renseignement d’une part et l’action civile et militaire d’autre part.

– Procéder à l’inventaire de toutes les forces qui, soit dans le cadre des groupements de résistance, soit dans le cadre de groupements spécifiques comme l’OCM, soit dans le cadre des organisations politiques, syndicales ou religieuses, peuvent jouer un rôle dans le soulèvement national en vue de la libération. En prévoir la mise à la disposition de l’EMZO, soit à l’échelon de la ZO tout entière, soit préférablement à l’échelon national.

– Rechercher, d’une part à la faveur de contacts directs et d’autre part en collaboration avec les organismes mentionnés plus haut, les cadres d’une organisation provisoire de la ZO au jour de la Libération (3).

Il fut décidé que Pierre Brossolette ( Brumaire ) partirait le premier et que le colonel Passy ( Arquebuse ) le rejoindrait à la lune suivante. Le temps de leur mission, les deux hommes furent intronisés représentants du général de Gaulle et du Comité National Français (CNF), sur un pied d’égalité avec Jean Moulin et André Manuel (4).

Avant d’entrer plus avant dans l’étude du déroulement de la mission, trois remarques s’imposent (5). Tout d’abord, avec le recul, il est permis de s’étonner du risque ainsi pris à envoyer en France, ensemble, pour une mission particulièrement dangereuse, les deux patrons du BCRA. L’excellente connaissance qu’avait Pierre Brossolette de la Résistance en zone nord fournit un élément d’explication. La nécessité d’aller vite en est un autre ; deux « grands chefs » parfaitement au courant des tenants et aboutissants de la mission, capables de décider et, on le verra, de composer, et de surcroît habitués à travailler de conserve pouvaient y parvenir mieux que d’autres. L’ambition de Brossolette, traduite là en souci de ne laisser à personne le soin de s’occuper de «sa » zone nord ouvre une troisième piste. Deuxième remarque, et comme le prouvent l’article qu’il publia dans La Marseillaise le 17 janvier 1943 à l’occasion de l’arrivée à Londres de Fernand Grenier (6) ainsi que ses dernières prises de position publiques avant de partir en mission (7), Brossolette n’était plus hostile a priori à la présence des partis dans une comité politique de la Résistance. Enfin, troisième remarque, la mission Arquebuse-Brumaire avait été conçue par et pour le BCRA, alors même que Jean Moulin, dans le cadre de la mission Rex et plus largement, dépendait du Commissariat National à l’Intérieur (CNI). Au printemps 1942, dans son plaidoyer pour une réforme des services secrets de la France Libre, Pierre Brossolette avait suggéré que tout le travail de renseignement et d’action politique en France soit confié aux agents desdits services, le CNI devant se cantonner à des activités de réflexion et d’impulsion politiques (8). Si un grand nombre des recommandations de Brossolette avaient été prises en compte lors de la création du BCRA, au tout début de l’automne 1942, le CNI n’en était pas moins demeuré fondé à poursuivre son action en France. Chef du « bloc opératoire » du BCRA, doté d’une solide vision politique ainsi que de la volonté de la mettre en oeuvre, Brossolette ne pouvait que marcher sur les brisées du CNI. De ce problème de répartition des compétences découlèrent de fortes oppositions et, par conséquent d’importantes difficultés.

Dans la nuit du 26 au 27 janvier 1943, Pierre Brossolette fut déposé par un Lysander dans la région d’Issoudun. Avant de gagner la zone nord, il se rendit à Lyon pour informer Jean Moulin de la teneur de sa mission. La rencontre entre les deux hommes se déroula plutôt bien, même si quelques divergences de conception sur l’organisation à mettre en place se firent jour (9). Très vite cependant, les choses se compliquèrent.

En effet, le séjour de Jean Moulin à Londres, du 15 février au 20 mars 1943, fut l’occasion d’évolutions fondamentales pour la politique de la France Combattante à l’égard de la Résistance intérieure. En particulier, les responsables gaullistes se convainquirent assez vite de la nécessité de créer un Conseil unique de la Résistance intérieure. A court terme, l’appui de cette instance serait précieux pour le général de Gaulle dans la partie de bras de fer qu’il avait engagée avec le général Giraud et les Alliés. A moyen terme de surcroît, le conseil ainsi créé désignerait les représentants de la France captive au sein d’une assemblée consultative, et deviendrait un élément essentiel de l’entreprise gaullienne de conquête de la légitimité démocratique. Le 21 février 1943, Charles de Gaulle signa les « Nouvelles Instructions » (NI) selon lesquelles il devait être créé, « dans les plus courts délais possibles, un Conseil de la Résistance unique pour l’ensemble du territoire métropolitain et présidé par Rex, représentant du général de Gaulle » (10). En d’autres termes, contrairement à l’opinion de Brossolette, qui estimait qu’une direction unique pour tous les mouvements de résistance était prématurée, Jean Moulin avait convaincu Charles de Gaulle de créer directement un Conseil de la Résistance pour l’ensemble du territoire. De surcroît, Moulin avait été intronisé seul représentant permanent du général de Gaulle et du Comité National Français pour la France métropolitaine. Il était par conséquent devenu le supérieur hiérarchique de Brossolette.

Au moment où il rejoignit Paris, Pierre Brossolette était néanmoins fondé à considérer que sa mission déboucherait sur la création d’un Comité de coordination de zone nord (CCZN), jumeau de celui de la zone sud. Arrivé dans la capitale le 12 février 1943, il se mit à l’œuvre avec son énergie coutumière et selon son ordre de mission, en multipliant les contacts avec les responsables de la Résistance (11). Parachuté en France en compagnie de l’officier anglais Forest Yeo-Thomas dans la nuit du 26 au 27 février 1943, le colonel Passy retrouva Brossolette à Paris le 27 février au soir. Il lui communiqua immédiatement la teneur des « Nouvelles Instructions ». Pierre Brossolette convainquit néanmoins le chef du BCRA d’adapter ces instructions aux réalités du terrain de la zone nord. Les deux hommes décidèrent alors de poursuivre conformément aux premières orientations de leur mission, Passy prenant en charge les questions relatives à l’action militaire et au renseignement, Brossolette se chargeant de tout ce qui se rapportait à l’action politique (12).

C’est précisément dans ce domaine que les choix les plus complexes et les plus lourds de conséquences durent être faits par les deux hommes. Lorsqu’il était arrivé à Paris au début du mois de février, Pierre Brossolette avait retrouvé des groupements de Résistance dont les conditions de lutte depuis deux années et demie différaient fortement de celles de la zone sud, et dont les perspectives et souhaits pour l’avenir étaient peu favorables aux anciens partis politiques. Comme il l’expliqua par écrit à la mi-mars à André Philip, Commissaire national à l’Intérieur, la plupart des résistants de l’ex-zone occupée nourrissaient de très fortes préventions à l’égard d’une éventuelle résurrection des partis d’avant- guerre et de leur intégration dans les instances dirigeantes de la Résistance. Au yeux de Brossolette, ces préventions étaient suffisamment fortes pour imposer aux envoyés de Londres d’en tenir compte. Aussi Passy et lui proposèrent-ils à Londres de choisir entre une « formule étroite », consistant à introduire les socialistes, les communistes et les catholiques résistants dans les futures instances, une formule « large » consistant à prendre en compte les « natures politiques » de la France résistante (13) ou une troisième hypothèse consistant plus simplement à leur « faire confiance pour arriver (en zone nord) avec Rex et les divers groupements à une formule satisfaisante » (14). C’est finalement à cette troisième solution que les deux hommes s’attachèrent. Soucieux d’aboutir vite dans la coordination de la Résistance de zone nord, ils jugèrent préférable de ne pas trop contraindre les mouvements sur la question politique. Ce faisant, ils oublièrent que les anciens partis, seuls, et non les «familles spirituelles et sociales » françaises, étaient connus des Alliés. En relayant la préférence des mouvements pour les « familles », ils prirent donc le risque de fragiliser l’entreprise de légitimation politique de la France Combattante.

Dans le même temps, et comme en témoignent leurs rapports et télégrammes à Londres (15), Brossolette et Passy déployèrent une activité débordante et… efficace. Le bilan de la mission Arquebuse-Brumaire est en effet assez exceptionnel. En deux mois et demi, et alors même que certains cadres susceptibles d’assumer des responsabilités administratives dans la zone nord à la Libération étaient repérés, les activités de renseignement conduites par les grands mouvements de la zone furent séparées des actions politiques et militaires ; deux « blocs opératoires » spécialisés dans les questions d’opérations et de transmissions furent constitués tandis que les différents réseaux leur étaient rattachés ; last but not least, deux centrales de transmission, « Coligny » et « Prométhée », furent créées afin de recueillir, mettre en forme et transmettre l’information en provenance des « blocs opératoires ». Par ailleurs, le 26 mars, Pierre Brossolette et le colonel Passy réunirent les chefs des cinq plus importants mouvements de la zone nord (Ceux de la Libération, Ceux de la Résistance, Libération-nord, Organisation Civile et Militaire, Front National). Officiellement créé ce jour-là, le CCZN se rangea immédiatement sous la bannière française combattante, non sans toutefois réitérer son hostilité à l’introduction de partis politiques au sein d’un éventuel conseil unique de la Résistance pour l’ensemble du territoire français. Enfin, après avoir dressé l’inventaire des forces paramilitaires des mouvements, Brossolette et Passy mirent sur pied un état-major de l’Armée secrète pour la zone nord.

De retour en zone sud dans la nuit du au 20 mars, Jean Moulin dut présider le 20 mars le comité directeur des MUR et régler quelques affaires pendantes. Il n’arriva donc à Paris que dans l’après-midi du 30 mars. Le lendemain et à nouveau le 1er avril, il s’opposa durement à Pierre Brossolette, auquel il reprocha d’être passé outre aux « Nouvelles Instructions » et de l’avoir mis, lui le représentant du général de Gaulle et du CNF en France, devant un fait accompli. Le 3 avril, Moulin fut néanmoins présenté par Brossolette au CCZN, dont il entérina la constitution. Le 12 avril, Charles Delestraint et lui furent introduits auprès des responsables paramilitaires des mouvements de la zone nord. En un mot, peu soucieux d’afficher la moindre divergence entre envoyés de la France Combattante, et désireux, pour agir vite, de capitaliser sur un existant même imparfait à ses yeux, l’homme d’État Jean Moulin sut prendre sur lui et composer. En tout état de cause, le 15 avril au soir, Pierre Brossolette, le colonel Passy et Forest Yeo-Thomas s’envolèrent pour l’Angleterre. La mission Arquebuse-Brumaire était arrivée à son terme.

S’il serait hasardeux de chercher à trancher définitivement, à soixante années de distance, sur la plus ou moins grande validité des raisons qui ont conduit Pierre Brossolette et le colonel Passy à effectuer certains choix, deux constats s’imposent néanmoins. De toute évidence, les deux hommes ont sciemment désobéi aux « Nouvelles Instructions ». En créant un Comité de coordination de zone nord uniquement composé de mouvements, ils sont allés à l’encontre de la décision de constituer directement une instance unique et nationale comprenant aussi des partis politiques. Cette désobéissance caractérisée ne doit cependant pas entacher le très beau bilan de leur mission. D’autant moins d’ailleurs que, fort de la constitution des CCZS et CCZN, et avec le concours de six partis politiques et deux centrales syndicales, Jean Moulin put créer en quelques semaines le Conseil National de la Résistance. Réuni pour la première fois le 27 mai 1943, celui-ci apporta un soutien aussi entier qu’essentiel au général de Gaulle.

La mission Arquebuse-Brumaire n’en laissa pas moins quelques séquelles à court et moyen termes. Pierre Brossolette et le colonel Passy firent partie de ceux qui, durant le printemps 1943, à Londres et en France, critiquèrent durement l’action de Jean Moulin et le principe de création d’un Conseil unique de la Résistance intérieure. Il est également vraisemblable que les aléas de la mission Brumaire furent au nombre des raisons qui, durant l’été 1943, conduisirent Charles de Gaulle à écarter la candidature de Brossolette à la succession de Moulin. De toute évidence, les débats et décisions de l’hiver 1943 étaient encore bien présents à l’esprit de Pierre Brossolette lorsqu’il revint en France au tout début de l’automne 1943 pour la mission clandestine qui lui fut fatale. Enfin, à plus long terme, les positions successive ment adoptées par les différents protagonistes, et singulièrement celles de Brossolette, ont fait l’objet de vifs débats historiographiques ainsi que de heurts mémoriels passionnés. En particulier, la question de la prise en compte ou non des partis politiques dans les instances de la Résistance, et celle du nombre de sièges accordés au parti communiste ont provoqué, et provoquent encore, des débats houleux.

Par son déroulement intense et quelquefois chaotique, la mission Arquebuse-Brumaire nous renseigne sur le temps particulier de la Résistance. Certains survivants écrivirent en effet après la guerre qu’ils avaient eu le sentiment, au long des années noires, de vivre plusieurs vies. L’intensité de la vie clandestine y fut pour beaucoup. La rapidité à laquelle les événements se succédèrent parfois joua également. En raison de cette sorte d’« accélération » du temps, certains objectifs fondamentaux un jour se trouvèrent dépassés quelques jours plus tard, des entretiens ne purent avoir lieu, des ordres parvinrent trop tard à leur destinataire. Ces décalages furent souvent accentués par les mauvaises liaisons et les difficultés de transport inhérentes au combat des ombres. Comment concevoir une action d’ensemble impliquant de nombreux acteurs lorsqu’il est impossible de réunir tous ces acteurs en un même lieu et en temps utile ? De fait, avant même qu’elle ne débute, l’articulation de la mission Brumaire avec le travail de coordination entrepris par Moulin en zone sud ainsi qu’avec les contacts pris par les adjoints de ce dernier pour la zone nord s’était avérée délicate. Par ailleurs, l’une des qualités maîtresses des envoyés de la France Combattante comme des résistants de l’intérieur fut de savoir s’adapter au terrain pour décider rapidement, sans en référer à quiconque et en ne tenant compte que de paramètres restreints tels que l’espace immédiat et le temps court. Dans ces conditions, comment reprocher à certains d’avoir par moments oublié de respecter certaines instructions à la lettre ? Enfin, la Résistance fut aussi un lieu de rivalités dont témoigne par exemple l’opposition Moulin-Brossolette. Si celle-ci fut ponctuelle, elle n’en fut pas moins violente. A la mesure des engagements respectifs des deux hommes et de la tension que l’un et l’autre subissait au fort de la lutte clandestine. A la mesure aussi des exceptionnels tempéraments de ces personnalités qui avaient su décider, seules et sans esprit de retour, de tout risquer pour la libération de la France.

(1) Spécialiste de l’histoire et l’historiographie des années noires en France, Guillaume Piketty a consacré sa thèse de doctorat d’histoire à l’étude de l’itinéraire intellectuel et politique de Pierre Brossolette
(2) Arrivé en France dans la nuit du 22 au 23 novembre, André Manuel allait travailler à la mission Pallas jusqu’au 26 janvier 1943 et regagner l’Angleterre en Lysander dans la nuit du 26 au 27 janvier
(3) « Ordre de mission Brumaire » en date du 24 janvier 1943 (document original). Archives privées de Gilberte Brossolette.
(4) Ordre de mission de Pierre Brossolette en date du 24 janvier 1943. Archives privées de Gilberte Brossolette ;
(5) Cf . Piketty Pierre Brossolette, un héros de la Résistance, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 231-296 et Jean-Pierre Azéma Jean Moulin, le rebelle, le politique, le résistant, Paris, Perrin, 2003, p. 331-338.
(6) P. Brossolette « L’union est faite » La Marseillaise n°32, Londres, 17 janvier 1943, p.4
(7) Lettre de P. Brossolette à Pierre Bloch lue le 6 février 1943 en séance du Groupe Jean- Jaurès. Procès-verbal dans les Archives de l’O.U.R.S.
(8) Voir P. Brossolette « Note sur la réorganisation de l’action politique en France » (30 mai 1942) AN 3 AG2 397 dossier 1 dossier 2 pièce 21. Voir aussi la lettre de P. Brossolette à André Philip du 30 mai 1942. Colonel Passy 10, Duke Street Londres (Le BCRA), Monte Carlo, Raoul Solar 1947, p. 218-230
(9) Rapport « BRU 1 » du 8 février 1943. AN 3 AG2 42 dossier B dossier 3 pièce 1.
(10) Instructions à Rex du 21 février 1943.AN3 AG2 181 dossier 3 pièce 13
(11) Voir notamment Rapport « BRU 2 » du 17 février 1943. AN3 AG2 42 Dossier B dossier 6 pièce 1 ; Rapport « de soudure » « BRU 3 » n° 4700/1 entre les rapports « BRU 2 » et « ARQ 1-BRU 4 » de P. Brossolette rédigé le 15 mars et arrivé à Londres le 21 mars 1943. AN3 AG2 42 Dossier B dossier 7 pièce 2
(12) Colonel Passy Missions secrètes en France Novembre 1942-juin 1943. Souvenirs du BCRA, Paris, Plon, 1951, p. 149. Voir également Rapport « ARQ 1-BRU 4 » de P. Brossolette et du lieutenant-colonel Passy du 15 mars 1943. AN 3 AG2 42 Dossier B dossier 7 pièce 3
(13) Dans son Rapport « BRU 4 », réfléchissant aux « familles » spirituelles et sociales françaises, Brossolette avait envisagé de prendre en compte « le communisme, le socialisme, la gauche ‘ laïque ‘, le catholicisme et ce qu’on appelait autrefois ‘ le nationalisme ‘ » Rapport « BRU 4 » de P. Brossolette à André Philip, Commissaire national à l’Intérieur, du 12 mars 1943, arrivé le 21 mars . Archives privées de Gilberte Brossolette.
(14) Rapport « ARQ 1-BRU 4 » de Brossolette et Passy du 15 mars 1943
(15) Voir Rapport « ARQ 2-BRU 5 » de Brossolette et Passy du 20 avril 1943 AN 3 AG2 42 Dossier B dossier 2 pièce 10